– Cette fiche fait partie de l'édition critique numérique du Parnasse réformé

L'académie de l'abbé d'Aubignac

L'activité littéraire de Guéret est à mettre en relation avec l'Académie de l'abbé d'Aubignac dont il est le secrétaire. Sur cette institution en quête de légitimité, on ne possède que quelques indications. En attendant une étude historique plus complète, il n'est pas inutile de mettre en réseau ces bribes documentaires, susceptibles de situer l'environnement intellectuel dans lequel gravite notre auteur.

Les indications relatives à l'Académie des Belles-Lettres réunie autour de l'abbé d'Aubignac reposent sur des témoignages épars :

La requête adressée par d'Aubignac au roi en faveur de son Académie

Jean Hédelin d'Aubignac, Discours au roi sur l'établissement d'une seconde Académie dans la ville de Paris, 1664.

C'est à partir de ce texte que l'on a tenté d'établir la chronologie des réunions académiques autour de l'abbé d'Aubignac. L'auteur indique en effet qu'elles ont lieu depuis deux ans. On a tenu compte de la date du privilège, 1656, pour situer la naissance de l'Académie des belles-lettres aux alentours de 1654. Cependant, comme le fait remarquer Antoine Adam, le privilège vaut pour plusieurs oeuvres de l'abbé. Il faudrait donc s'arrêter à la parution effective du Discours, 1664, ce qui situerait en 1662 le début des conférences. Mais celles-ci commencent probablement plus tôt puisque, dès 1659, Sorel tourne en ridicule les membres de « l'Académie allégorique » (voir infra).

On a régulièrement interprété la requête de l'abbé d'Aubignac comme l'expression d'un besoin de reconnaissance, propre à compenser sa mise à l'écart par l'Académie française. Cet échec s'explique partiellement par ses propos critiques sur la Roxane de Desmarets de Saint-Sorlin, qui déplaisent à Richelieu, mais peut-être aussi par les relations qu'il a entretenues au début de sa carrière avec le milieu de la Fronde. La supplique se borne en tout cas au registre symbolique : du roi, d'Aubignac ne requiert que la bienveillance - « l'honneur de sa protection et les caractères de son autorité pour établir en Académie royale les conférences que nous avons continuées depuis deux ans » - , sans contrepartie financière explicite. On est cependant en droit d'imaginer que, dans l'esprit du solliciteur, la gratification pourrait naturellement accompagner la reconnaissance.

Les arguments alignés en faveur de la « seconde » Académie font une large part au discours encomiastique : on ne saurait apporter trop de soin au culte des Muses, dont l'action contribue à exalter les hauts faits des princes et à entretenir leur souvenir. Cette révérence obligée à l'endroit du souverain est l'occasion de souligner la contribution des belles-lettres à la réalisation d'un dessein politique.

L'abbé d'Aubignac fonde ensuite sa requête sur un raisonnement comparatif, en insistant sur les bienfaits associés à la multiplication des sociétés savantes : à l'inévitable mention de l'Académie française, dont la compagnie qu'il préside se veut modestement la « puînée » (p. 38), il joint l'exemple des nombreuses académies italiennes, et celui, plus notable encore, de la Royal Society londonienne, tout récemment fondée (p. 34).

Ce dernier modèle suggère les amples ambitions de l'Académie d'Aubignac qui, tout en soulignant ses domaines d'élection, l'Eloquence et la Poésie, fait occasionnellement mention d'autres champs du savoir, comme l'architecture. Cet élargissement des perspectives, essentiellement rhétorique, manifeste une sensibilité à l'air du temps : l'Académie des sciences, inspirée à Colbert par le modèle anglais, verra le jour deux ans plus tard.

A ces bonnes raisons teintées d'opportunisme s'ajoute une justification dont la tonalité s'avère nettement plus « moderne » : la multiplication des institutions vouées à l'étude des lettres et des sciences présente, si l'on en croit l'abbé d'Aubignac, la meilleure garantie contre les méfaits du conservatisme intellectuel. L'émulation de savants issus d'horizons divers favorise un dynamisme de la pensée propre à combattre toute forme d'enlisement et d'opiniâtreté (p. 30-31). Il est donc urgent de favoriser les disputes génératrices de lumière : « La nuit ne saurait durer quand il se trouve beaucoup de lumières en état de l'éclairer ; et sans attendre le secours de la postérité, nous aurons les sciences toutes épurées. » (p. 47-50).

Un détail non négligeable enfin : le fondateur de l'Académie des Belles-Lettres suggère la possibilité d'une ouverture aux dames. On se rappellera à cet égard que Chappuzeau a donné en 1661 L'Académie des femmes, tandis que La Forge, deux ans plus tard, publie Le Cercle des femmes savantes. L'abbé d'Aubignac envisage donc sur un ton sérieux une éventualité que ses contemporains, auxquels se joindra bientôt Molière, tiennent pour une énormité.

Les mauvaises langues ont déduit de cette ouverture peu compatibles avec les usages de la tradition savante qu'elle s'efforce de pallier un recrutement difficile. Mais ce projet d'introduire les femmes dans la nouvelle académie pourrait également refléter la porosité, bien mise en évidence par Delphine Denis, entre les institutions savantes et les cercles mondains.

Le plaidoyer s'achève sur l'évocation du Parnasse, comme figuration de l'essor académique. Un Parnasse dont « les guerres innocentes » sont ordonnées à la seule conquête de la vérité. Un Parnasse dont le Roi est désigné comme l'Apollon, même si cet Apollon prend occasionnellement les traits d'Hercule en vainqueur du Sphynx.

La relation du Mercure galant

t. I, 1672, p. 260 sq.

L'exposé le plus complet des activités académiques présidées par l'Abbé d'Aubignac est la relation adressée par Donneau de Visé à une correspondante anonyme, à qui il vient de présenter l'Académie française. Ce témoignage, dont les historiens modernes reprendront régulièrement la substance, contient de précieux renseignements à la fois sur les membres de la compagnie et sur leurs travaux.

Conformément à son intitulé, l'Académie des « Belles Lettres » se voue essentiellement à l'examen des « ouvrages d'éloquence et de poésie ». Elle réunit « le premier jour de chaque mois, à l'hôtel Matignon », une « assemblée composée de personnes de qualité de l'un et l'autre sexe », pour entendre une communication consacrée à un aspect précis de l'éloquence, suivie de la lecture des « ouvrages de poésie composés par quelques-uns des Messieurs de l'Académie » (p. 263).

Suit la liste des membres, que nous reproduisons in extenso :

Donneau de Visé évoque rapidement la dislocation du groupe, précipitée par la mort de d'Aubignac auquel succède brièvement l'abbé de Villeserin, avant d'être éloigné de Paris en raison de sa nomination à l'évêché de Senez.

La fonction de secrétaire assumée par Guéret durant les activités de l'Académie des belles-lettres, que l'on peut situer approximativement entre 1659 et 1671, invite à s'interroger sur le statut social et l'orientation esthétique de ses collègues. On s'arrêtera à ceux d'entre eux qui sont les plus aisés à situer :

Que retenir des indications livrées par le Mercure galant ?