Entre 1600 et 1750, on relève pas moins de 80 titres d'ouvrages imprimés en France incluant une référence au Parnasse.
Un cadre passe-partout
Dans bien des cas, il s'agit d'un emprunt superficiel et purement décoratif à une convention de l'imaginaire poétique. La mention du Parnasse se borne à une fonction liminaire, ce qui en accroît la disponibilité. Elle servira par conséquent aussi bien à introduire un art poétique,
- Louis Du Gardin, Les Premières Adresses du chemin du Parnasse, s. l. , 1610;
- Guillaume Colletet, Le Parnasse français ou l'Ecole des Muses, Ch. de Sercy, 1664;
qu'une célébration spectaculaire
– La Paix du Parnasse, jouée au collège jésuite de la Trinité, Lyon, 1660;
– La Fête du Parnasse, ou Le Triomphe de l'Hymen et de la Paix, composée en 1698 par le chevalier de Blégny en l'honneur de la famille royale.
ou une publication de caractère périodique
- François Gacon, Le Secrétaire du Parnasse, F. et P. Delaulne, 1698; Fournier, d'Houry fils, 1724;
- Les Dépêches du Parnasse ou la Gazette des savants, s. l., 1693-1694.
Recueils collectifs sous le signe du Parnasse
Ce Parnasse réduit à un titre prétexte est régulièrement sollicité pour chapeauter un recueil collectif. Cela dès Gilles Corrozet, qui publie en 1568 son Parnasse des poètes françois modernes, et jusqu'à Alexis Piron, dont le Chiffonnier du Parnasse paraît en 1732, en passant par d'autres titres analogues, parmi lesquels le fameux Parnasse satyrique de 1622, régulièrement réédité au cours du siècle. C'est également sous le signe du Parnasse qu'un auteur peut choisir de réunir sa propre production : on connaît Le Parnasse séraphique de Martial de Brives, Lyon, Demasso,1660; Le Parnasse des odes de Claude Hopil, Sébastien Huré, 1633; Le Commerce du Parnasse de Françoise Pascal, Barbin, 1669 ; ou encore, dans un registre un peu différent, Le Nouveau Parnasse, Sommaville, 1648, dans lequel Puget de La Serre aligne ses tragédies en prose.
Dans le sillage de Boccalini
La mode des Parnasses est par ailleurs conditionnée par l'exploitation satirique des jugements d'Apollon que propose Traiano Boccalini dans ses célèbres Ragguagli di Parnaso, qui passeront très vite dans le domaine français, grâce aux traductions de Thomas de Fougasses - Les Cent Nouvelles et Avis du Parnasse, A. Périer, 1615 - et de Louis Giry - Pierre de touche politique, tirée du Mont Parnasse …, Villery, 1626 -. C'est dans cette lignée qu'il convient par exemple de situer Les Visions admirables du pèlerin du Parnasse, Paris, Gesselin, 1635, attribuées à Charles Sorel.
Une étiquette commode
Avec Boccalini, le Parnasse s'est plié à un contenu extra-littéraire. On observe un tel élargissement chez les auteurs français, surtout à partir des années 1660. La fiction allégorique d'Apollon et de ses Muses s'applique tour à tour
à l'histoire : Le Vasseur, Les Evénements illustres ou L'Entretien du Parnasse, Sercy, 1661.
à l'argumentation politique : Louis Du May, L'Avocat condamné et les parties mises hors de procès par arrêt du Parnasse, ou la France et l'Allemagne également défendues par la solide réfutation du traité que le sieur Aubery a fait des prétentions du Roy sur l'empire, s. l., 1665.
aux controverses scientifiques : Boileau, Arrêt burlesque, donné en la grand' chambre du Parnasse, en faveur des maîtres-es-Arts, médecins et professeurs de l'Université de Stagyre au pays des Chimères pour le maintien de la doctrine d'Aristote, publié pour la première fois en 1671 à la suite de la Guerre des auteurs de Guéret; F. A. D. M. Le Parnasse assiégé ou la Guerre déclarée entre les philosophes anciens et modernes, Lyon, Boudet, 1697.
C'est à une logique semblable que répondront encore encore, en 1726, les Goûts réunis de Couperin, reflet de la querelle entre partisans de la musique française et italienne, qui se termine par la Grande Sonade intitulée Le Parnasse ou l'Apothéose de Lully.
Parnasses littéraires
L'application au débat littéraire de l'allégorie du Parnasse n'a évidemment pas attendu Gabriel Guéret, ainsi que le démontre le répertoire chronologique qui suit :
P. Guérin de La Pinelière, Le Parnasse ou la Critique des poètes, Paris, Toussaint Quinet, 1635. [Déplier] Voir M. Fumaroli, L'Age de l'éloquence, éd. cit., p. 609-610. L'auteur reprend à Quevedo (Sueños y discursos, 1628) le motif du songe grâce auquel un narrateur pénètre l'espace allégorique du Parnasse, où le vieillard qui lui sert de guide l'invite à jeter un regard désabusé sur la vie littéraire.
Antoine Furetière, Nouvelle allégorique ou Histoire des derniers troubles arrivés au Royaume d'éloquence, Paris, Pierre Lamy, 1658. Ed. mod. Mathilde Bombart et Nicolas Schapira, Toulouse, Société de Littératures classiques, 2004.[Déplier] Ce texte qui met aux prises les partisans d'Eloquence et les tenants de Galimatias propose, comme le suggèrent les éditeurs dans leur préface, "un panorama complet de la situation des lettres de (ce) temps".
Madeleine de Scudéry, "Le Songe d'Hésiode", dans Clélie, Histoire romaine, IV, 2, Paris, Augustin Courbé,1658. Deux éditions modernes :
D. Denis éd. , M. de Scudéry, "De l'air galant" et autres conversations, Champion, 1998, p. 183-244.
Chantal Morlet-Chantalat éd., M. de Scudéry, Clélie, Paris, Champion, 2004, p. 289-328. [Déplier] Calliope apparaît en songe à Hésiode endormi sur l'Hélicon et lui révèle l'avenir de la poésie. La prophétie d'Hésiode présente, au fil des auteurs qui l'illustrent, l'ensemble de la translatio studii : Grèce, Rome, France contemporaine de l'auteur.
Charles Sorel, Relation véritable de ce qui s'est passé au Royaume de Sophie, depuis les troubles excités par la Rhétorique et l'Eloquence. Avec un discours sur la nouvelle allégorique, Paris, Charles de Sercy, 1659. [Déplier] Réplique de Sorel à Furetière, dont il retourne le schéma allégorique. Rhétorique apparaît comme une subordonnée indocile de Sophie, contre laquelle elle médite un coup d'Etat en accord avec Galimatias. Ce pamphlet traduit une réaction contre l'ascendant de la littérature mondaine, dénoncée comme superficielle, au détriment du véritable savoir. En filigrane, le projet encyclopédique de La Science universelle, entrepris par Sorel dès 1634, et dont l'édition complète, parue dès 1647, sera rééditée en 1668.
La Pompe funèbre de M. de Scarron, attribuée à Baudeau de Somaize, Paris, Ribou, 1660. [Déplier] Fantaisie satirique construite sur le motif du songe, qui transporte l'auteur de la chambre mortuaire de l'écrivain, où tous ses collègues prétendent à la première place dans le cortège funèbre, au Parnasse où Apollon préside à son apothéose. La réplique des poètes incriminés publiée sous la forme d'un recueil d'épigrammes, Le Songe du rêveur (Paris, de Luynes, 1660), emprunte le même décor : le Parnasse y est dominé par un Apollon en féroce plaisantin, qui fait tourmenter le pauvre Somaize en présence des auteurs qu'il a abusés.
Le Libéra chanté par les muses sur le mont de Parnasse de la mort de Monsieur Scarron en vers burlesque, Paris, 1660, Bibl. Richelieu, Rothschild Supplément - 4020 [Déplier]
Ouvrage sans intérêt, si l'on en croit Henri Chardon, Scarron inconnu, 1904 (Slatkine, 1970), p. 362. Variante peu significative de la Pompe de Scarron.
Jacques Grille d'Estoublon, Le Mont Parnasse ou De la Préférence entre la prose et la poésie, Paris, Pierre de Bresche, 1663 [Déplier]
Visite au Parnasse des membres d'une académie arlésienne pour trouver une réponse à l'épineuse question de la rivalité entre prose et poésie. Les interlocuteurs immédiats des académiciens sont Balzac et Voiture, Vaugelas et Malherbe, dont les avis préparent l'arrivée d'Apollon. Le verdict du dieu, en faveur de la poésie, présente, dans sa forme, une analogie certaine avec la conclusion du Parnasse réformé. Charles Sorel, Le Nouveau Parnasse ou les Muses galantes, Oeuvres diverses, par M. D. S., Paris, Compagnie des Libraires, 1663. [Déplier]
Guerre au Parnasse entre les tenants du "parti sérieux", adeptes de l'Antiquité et des sciences solides, et les promoteurs de la galanterie, qui finissent par conquérir Apollon et les Muses. La montagne aux deux sommets est abandonnée aux premiers, tandis qu'Apollon et ses Muses élisent domicile à la Cour. Apologie d'une science galante, dont les enseignements sont devenus aimables. Le rôle des Muses dans cette transformation est une image de l'ascendant de la culture féminine. Jean Donneau de Visé, "Extrait d'une Lettre écrite de Parnasse, touchant les nouveaux règlements qui ont été depuis peu faits dans le Conseil d'Apollon et des Muses extraordinairement assemblé", Nouvelles Nouvelles, Paris, Pierre Bienfaict, 1663, III, p. 134-139. [Déplier]
Révolution au Parnasse, sous l'influence des Muses qui favorisent la littérature galante et féminine. Nouveaux édits d'Apollon dans ce sens, suivis d'une discussion mettant aux prises partisans et adversaires de la galanterie. Après Le Parnasse réformé (1668) et La Guerre des auteurs anciens et modernes (1671), l'allégorie du Parnasse semble moins régulièrement sollicitée. Au début du XVIIIe siècle, dans le sillage de la Querelle des Anciens et des Modernes, on observe la parution de plusieurs imitations des Parnasses "critiques" évoqués plus haut, dont celui de de Guéret. Ignace-François Limojon de Saint-Didier, Le Voyage du Parnasse, Rotterdam, Fritsch et Bohm, 1716. [Déplier]
Le narrateur parvient au Parnasse en chevauchant Pégase que Calliope a mis à sa disposition. Il y rencontre deux guides, le jeune Cliton, et l'ancien Crantor, qui l'emmènent aux bords du Permesse où se sont multipliées les maisons de plaisance dans lesquelles pontifient les poètes médiocres pour plaire aux dames. Dénonciation de la décadence des lettres modernes. Reprise de l'accusation de galimatias. Marc-Antoine Legrand, Le Roi de Cocagne, P. et J. Ribou, 1719. [Déplier]
La comédie est précédée d'un Prologue qui fait arriver Géniot (l'auteur) au Parnasse où il s'entretient successivement avec la Muse triviale, renvoyée à son bourbier, et Thalie qui lui accorde son inspiration. En arrière-plan, deux figures d'auteur servant de repoussoir : Plaisantinet, dont l'inspiration grossière est réprimandée, et La Farinière, auteur de haute envergure, ridiculisé pour ses prétentions. Jean-Florent Neufville de Brunaubois, La Nouvelle Astronomie du Parnasse français ou l'Apothéose des écrivains vivants dans la présente année 1740, Sur l'imprimé Au Parnasse, chez Vérologue, seul imprimeur d'Apollon pour la satire en prose, 1740.[Déplier]
Revue satirique faisant une fois de plus usage de la juridiction d'Apollon qui, au moment d'abdiquer en raison de son grand âge, organise sa succession (Voltaire), tout en définissant la hiérarchie des auteurs vivants sur le modèle de la carte céleste. Antoine Gachet d'Artigny, Relation d'une assemblée tenue au bas du Parnasse, pour la réforme des belles-lettres, La Haye, Paupie, 1739. [Déplier]
L'auteur se réclame explicitement des modèles de Furetière, Guéret, Callières. À tous ces textes dominés, fût-ce sur le mode enjoué, par la le débat d'idées, il faudrait joindre l'exemple d'une fantaisie en apparence plus gratuite, comme la Clymène de La Fontaine (publiée en 1671, mais rédigée aux environs de 1658), qui atteste à sa manière l'omniprésence d'un décor conventionnel associé à la poésie. Orientation bibliographique Un ouvrage de base : Une thèse en cours : Sur le Parnasse, représentation symbolique des débats littéraires, voir
Le cadre du Parnasse sert donc à un débat sur l'art dramatique, avec en filigrane l'opposition entre le trop grave et le trivial, qui met en valeur la veine enjouée et mondaine.
Delphine Denis, Le Parnasse galant. Institution d'une catégorie littéraire au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2001.
Raphaëlle Errera, Sur le Parnasse. Analyse d'une allégorie de la vie lettrée : modèles et travestissements (XVIe-XVIIIe siècles)
sous la direction de F. Lecercle et J. Ch. Monferran
Anne Tournon, " Les textes palmarès allégoriques ", Littératures classiques 2006/1, (N° 59), p. 47-66. DOI 10.3917/licla.059.0047